Vous me connaissez, je suis quelqu’un de positif, j’évite les coups de gueule et préfère naturellement écrire sur ce qui me plaît… Mais là, il me semble qu’une limite vient d’être franchie…
La scène se déroule dans les salons drapés de rouge d’une salle de spectacle parisienne, au cœur d’une Europe jugée trop faible. De l’autre côté de l’Atlantique, un président tonitruant martèle que le Vieux Continent manque de testostérone politique. Chez nous, l’air de rien, le pouvoir écoute, observe et surtout, se lâche…
Dans ce mauvais conte, une figure féminine du pouvoir, rien moins que la Première Dame, comprend la règle implicite du jeu international : la courtoisie est en train de devenir un handicap, la nuance est un aveu de faiblesse et le respect synonyme de fragilité. Pour exister dans ce monde d’hommes qui parlent fort il faut adopter leur langage, quitte à parler mal. Alors la Première Dame emprunte les codes. Les pires. La brutalité devient connivence et l’insulte une démonstration d’autonomie. Car après tout, si l’on veut être respectée dans une arène façonnée par et pour les mâles dominants, il faut prouver que l’on peut cogner, à leurs côtés, avec les mêmes outils.
Singer la vulgarité viriliste
C’est ici que la fable devient grinçante. Car en singeant la vulgarité viriliste, la Première Dame ne transgresse pas l’ordre établi : elle le confirme. Loin de faire exploser le plafond de verre, elle s’y cogne bruyamment, persuadée que le fracas fera illusion. Dans son monde à elle, être une femme forte ne signifie pas être juste, solidaire ou même courageuse. Cela signifie être capable d’adopter les manières de ceux qui méprisent, dominent et écrasent. Et la Première Dame de le faire spontanément, sans trembler.
Si la scène amuse le petit public qui y assiste, elle est pourtant consternante. Les limites de la bienséance politique sont largement franchies. Toute possibilité de diplomatie (c’est la Première Dame tout de même !) s’en trouve piétinée. Dans cette histoire, les féministes deviennent un dommage collatéral. Une variable négligeable. Car que vaut la lutte pour l’égalité et la justice pour toutes et tous, face à l’impératif suprême : prouver que l’on n’est pas faible ? Peu importe qui l’on blesse, pourvu que le message passe. Peu importe le fond, pourvu que la formule soit cinglante. Trump doit bien rigoler.
Mais cette dérive — l’injure « sales connes » à l’endroit d’un groupe de femmes ulcérées qu’une accusation de viol puisse être balayée par un non-lieu — pointe une impasse : lorsque les femmes au sommet choisissent d’endosser les pires réflexes du pouvoir masculin, elles ne deviennent pas « des hommes comme les autres ». Elles deviennent les gardiennes d’un système qui continue de les mépriser.
Ma liste de Noël
En réponse à cette fable, où le mot « féministe » est réduit à une injure et la lutte pour la justice à une « connerie », je vous propose un trio de livres intelligents et réparateurs. Des livres qui nous aident à penser, à voir plus clair et à tenir debout.
Cette femme, c’est moi
Pour décrypter en détail les rapports de domination, l’emprise coercitive au sein du couple et pouvoir expliquer à notre entourage pourquoi il est si difficile pour les femmes maltraitées de quitter leur bourreau : La nuit au cœur de Nathacha Appanah, aux éditions Grasset. Je n’ai jamais lu de livre aussi précis et ciselé sur l’implacable mécanisme d’emprise qui mène aux coups puis au féminicide. Le fait que l’autrice entrelace trois destins de femmes donne une grande profondeur aux propos.
L’enfinsolitude
Pour celles qui veulent explorer une belle et grande solitude, celle qui nous rappelle nos origines et notre histoire d’avant le patriarcat ; pour celles qui veulent découvrir « l’enfinsolitude » qui réaligne et donne des forces sans dominer : Enfin Seule de Laurence Bastide, chez Allary éditions. Je vous avez déjà parlé de la puissante écriture de Lauren Bastide à l’occasion de son précédent livre.
Chimères et bienveillance
Pour celles qui sont capables de tomber en amour devant une baleine, celles qui pensent que la Mer est l’avenir de l’être humain ; celles qui s’extasient devant l’intelligence d’une pieuvre et veulent imaginer un futur bienveillant : L’invention de la mer de Laure Limongi, aux éditions Tripode. J’avais rencontré Laure Limongi il y a trois ans et depuis je suis son travail aussi pointu que passionnant.
Photo de couverture Alfo Medeiros



