un beau cheval blanc en pleine course - penseur du vivant

Le refus de la condition humaine

Il y a quelques semaines, j’ai regardé sur Arte un documentaire qui m’a beaucoup perturbée : Avec toi pour toujours, de l’immortalité virtuelle . Ce film raconte l’ascension de start-ups américaines qui promettent aux vivants de pouvoir continuer à communiquer avec leurs proches après leur mort. L’idée est d’aspirer l’empreinte numérique (et toutes les informations disponibles) d’une personne. Et à partir de là, de créer un avatar avec lequel il sera possible de parler ou d’échanger des messages… J’ai compris alors que l’éradication de la mort n’était plus un projet mais une réalité, fut-elle virtuelle. Cela m’a plongée dans un abîme de perplexité. Mon désarroi était amplifié par la détresse des personnes qui témoignent, dans le documentaire, de l’addiction que ce mode de « communication » avec leurs morts a créé en eux, associée à une totale impossibilité de faire le deuil.

Contradictions médicales et autres bizarreries

Heureusement, le lendemain de ce visionnage, je rencontrais Danielle Moyse pour discuter avec elle des questions existentielles qu’elle aborde dans son dernier livre : Contradictions médicales et autres bizarreries affectant le droit, la santé et la vie. Grâce au beau travail des Éditions Conférence, cet ouvrage recueille quinze ans de chroniques de « bioéthique » publiées par l’auteur dans la presse et sur philosophies.tv.  Cette lecture met patiemment en lumière l’emprise des avancées techniques, scientifiques et médicales qui, grisées par leur propre puissance, transforment trop souvent notre vision du monde. Danielle Moyse explore ainsi à travers ses chroniques, divers domaines pour lesquelles la technique impose sa loi : la question du handicap (toutes les chroniques de la première partie du livre « Du Handicap »), celle du soin ou encore notre rapport au vivant (lire en particulier les très belles chroniques « Le cheval et le nucléaire » ou encore « Voyager à l’heure du gigantesque »).

Marir-Laurence Cattoire et Danielle Moyse sont assises côté à côte sur un canapé gris tenant le livre de Danielle. Elles regardent l'objectif et sourient.

Pourquoi refuser toute vulnérabilité ?

Mais quel est le point commun entre le validisme, notre refus de la mort et le tourisme de masse ? Si ces champs d’expérience semblent à priori très éloignés une chose les relie pourtant : notre volonté de contrôle qui nous amène à refuser toute vulnérabilité, tout inconnu, tout imprévu…  Et c’est là peut-être le fil rouge que tisse la philosophe : le refus de notre condition humaine. Le refus de notre mortalité.

Danielle Moyse nous rappelle pourtant que notre finitude est un « aiguillon magnifique » qui ne peut que nous encourager à vivre pleinement et généreusement. C’est d’ailleurs à partir de ce point de vunérabilité que la philosophe enseigne également la méditation. « la méditation nous permet de tenir face à notre finitude » déclare-t-elle dans l’entretien que je vous invite à regarder.

La méditation nous permet de tenir face à notre finitude.

Une penseuse de vivant

Je rapproche ce travail de celui des penseuses et penseurs du vivant qui, face au désastre écologique – un désastre créé par l’homme qui se croit maître de la nature et du monde – propose une nouvelle manière d’habiter la terre. À l’heure où d’étranges personnalités prennent le pouvoir politique et social, convaincus que l’homme s’autodétermine et qu’il peut être l’auteur de sa naissance et de sa mort, il est bon de lire Danielle Moyse.

Pour la vérité humaine dont elle témoigne sans relâche. Et pour son écriture poétique aussi qui nous fait rencontrer petits et grands événements du quotidien avec la même délicatesse.


Pour aller plus loin :

Contradictions Médicales et autres bizarreries affectant le droit, la santé et la vie, un livre de Danielle Moyse publié aux Éditions Conférence

Les penseurs du vivant, un livre de Nicolas Truong, publié aux éditions Acte Sud

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12 réflexions sur “Le refus de la condition humaine”

  1. Marie-Céline Cléré

    Merci beaucoup Marie-Laurence pour cet excellent entretien ô combien touchant et éclairant sur notre condition d’être humain.

    1. Marie-Laurence Cattoire

      Merci pour ton message Marie-Céline, le travail de Danielle Moyse est remarquable. Elle fait partie de ces penseuses et philosophes qui nous aident à soutenir (et à précieusement conserver) notre part d’humanité. J’étais très heureuse de pouvoir faire cet entretien avec elle.

  2. Whaou quel bel entretien ! j’adore cette femme qui est vraiment passionnante …Je l’écouterai pendant des heures !
    J’adhère a ce qu’elle dit à propos du handicap ( je travaille auprès d’enfants en situation de handicap )
    Et oui la méditation nous fait prendre conscience de tellement de choses de la vie. D’avoir moins peur de cette finitude. C’est un long le chemin…
    Merci à toi pour ce magnifique partage

    1. Marie-Laurence Cattoire

      Merci pour ton enthousiasme Sylvie. Danielle Moyse est passionnante. C’est très beau de l’entendre parler de la finitude comme « d’un aiguillon magnifique ». Et quand elle évoque la générosité de se retirer, cela renverse complètement notre perspective sur notre condition humaine. Heureuse que ce partage te plaise. À très vite.

  3. Alline Menachaud

    Merci beaucoup Marie Laurence pour ce bel entretien. Je crois que je vais acheter le livre sur les contradictions médicales. Je suis médecin en retraite et j’ai souvent eu l’impression de ne pas avoir d’arguments philosophiques pour discuter avec des confrères sur des sujets sensibles comme le handicap justement.
    Je n’ai pas pu me liberer pour le 21 juin j’espère que tu feras d’autre journées à la rentrée pour apprivoser ses démons car la peur de la finitude en est bien un.

    1. Marie-Laurence Cattoire

      Chère Alline, en effet en tant que médecin tu as dû certainement rencontré quelques… contradictions dans ta carrière. Ce livre est de plus agréable à consulter puisqu’il est organisé sous forme de chroniques, à savoir de courts textes profonds qui donnent matière à réflexion. J’ai mis le lien vers l’éditeur dans le texte pour que tu puisses te le procurer aisément. Au plaisir de te retrouver.

  4. Merci à toutes les deux pour ce si riche entretien.
    Tout d’abord cette joie de vous voir réunies pour ce partage et puis le souvenir de cet appétit pour les chroniques de Danielle lorsqu’elles étaient diffusées par Bruno dans philosophie TV.
    Alors retrouver ces chroniques dans un livre ! Un bonheur que je vais partager…
    Les sujets abordés dans cet entretien sont une source inépuisable de questionnements et d’effroi tant on ne peux en parler facilement autour de soi.
    Grâce vous soit rendue de pouvoir l’évoquer par le biais de l’écoute de cet entretien et de la lecture du livre.
    Comme nous sommes en lien par ce chemin qu’est la méditation je vous partage cet « à propos » de Chogyam Trungpa dans l’entraînement de l’esprit : »Adopter l’attitude des quatre rappels. -1 le caractère précieux de la vie humaine. -2 la réalité de la mort qui arrive sans prévenir. -3 la prison du karma et l’enchaînement des causes et des effets. -4 la souffrance est inévitable pour tous les êtres. ». Toujours incroyable cette synchronicité ..
    Au plaisir de vous retrouver l’une et l’autre sur le Chemin.
    Avec toute mon affection
    Christine

    1. Marie-Laurence Cattoire

      Merci Christine,
      j’ai l’impression que tu as eu autant de plaisir à nous écouter que nous en avons eu à nous retrouver autour de ces sujets qui animent Danielle Moyse. Son livre est en effet précieux par les thèmes qu’il aborde et aussi fort bien fait. J’aime les livres et je les aime d’autant plus quand ils sont édités avec autant de soin.
      Pour ce qui est des 4 rappels, il est clair que la voie bouddhiste a beaucoup à nous apprendre sur une manière plus saine d’aborder notre finitude. Danielle consacre d’ailleurs plusieurs chroniques dans son livre à la pensée de Chögyam Trungpa.
      Avec toute mon affection

  5. Merci de tout cœur à toi, chère Marie-Laurence, et à Danielle aussi pour ce bel échange inspirant et si essentiel. Je vais le revoir et le transmettre à d’autres.
    Je suis très touchée par ton évocation concernant le fait de donner vie et mort en même temps, quand tu as donné naissance à ton premier enfant. J’ai eu exactement cette même sensation profonde à la naissance des miens. Ne pas pouvoir les protéger de « Ça » en les mettant au monde. Ne pas les retenir du coup et les confier à la vie…tout un chemin, encore et toujours.
    Merci !

    1. Marie-Laurence Cattoire

      Merci pour ton commentaire chère Bénédicte. Il tombe « à pic » en cette journée de fêtes des mères ! Cet entretien est dense et les propos de Danielle sont très riches, donc à voir et à revoir tu as raison !
      Réaliser que nous ne pouvons pas protéger nos enfants de tout c’est accueillir nos limites et notre finitude. Et, même si c’est douloureux, c’est très sain. C’est grâce à cela qu’on découvre à quel point la vie humaine est précieuse. Et que l’on se doit d’en prendre vraiment soin.
      Chaleureusement, Marie-Laurence

  6. Chères amies, vos commentaires me vont droit au coeur ! Ils indiquent que mon travail continue à faire son chemin, par delà les obstacles opposés à sa diffusion, au premier rang desquels l’impossibilité de le ranger dans une « case », ce qui, dans notre monde, ne pardonne pas ! Est-ce de la philosophie ? Est-ce de la sociologie ? En fait, j’ai seulement pensé depuis toujours que la pensée s’incarne et que le monde (qui exige donc d’être phénoménologiquement, mais aussi sociologiquement observé!) fait souvent apparaître les idéologies, les idées qui le sous tendent. La naissance et la mort, la maladie et le handicap, et la façon dont nous les vivons, sont des champs d’observation privilégiés pour comprendre la façon dont, à nos risques et périls, nous habitons ce monde. Et il y a un lien profond entre ces questions-là et les autres dont j’ai également traité dans mon livre, et l’entretien avec Marie-Laurence, mon alliée, dès le jour où je l’ai rencontrée ! Alors merci à toutes pour vos lectures et vos écoutes ! Diffusez en effet, si possible, parlez-en, lisez et faites lire, en n’oubliant pas que, ce faisant, vous m’aidez à diffuser mon travail, demeuré à ce jour assez confidentiel ! (Je ne me plains pas : cela m’a permis de travailler, dur, mais tranquillement ! ) Je vous embrasse et vous remercie encore ! Danielle
    PS : le plus simple pour se procurer « Contradictions médicales », c’est de suivre le lien placé sous la vidéo.

    1. Marie-Laurence Cattoire

      Voilà un chaleureux remerciement Danielle et des précisions utiles sur le sens, peut-être confidentiel mais extrêmement profond, de ton travail.

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