Hériter, transmettre, réparer

Devenir mère m’a plongée dans état d’urgence : celui de faire tout mon possible pour ne pas transmettre mes névroses à mes enfants, cet héritage fait d’insécurité et de violences. C’est un défi pour tout jeune parent. Mais c’était aussi probablement pour moi l’occasion de me prendre en main et de devenir un peu plus adulte… En tous cas, c’était mon projet, ma profonde aspiration… Mais comment faire ?

Car il ne s’agit pas juste de le vouloir. Encore moins de mettre sous le tapis ce que l’on a vécu, en quelque sorte « de tourner la page » pour passer à autre chose. Ces névroses nous habitent. Elles se sentent, se ressentent et souvent même influencent qui nous sommes. Alors quoi, se renier ?  Crouler sous la honte de ne pas être capable d’être plus saine, mieux dans sa peau ? Culpabiliser d’avoir mis au monde un être humain qui n’avait rien demandé ? Certainement pas ! Même si c’est pourtant que j’ai fait à l’arrivée de ma première fille. J’ai culpabilisé. Je me suis sentie incapable de faire face à une telle responsabilité. Avec la peur tragique de faire mal, ou de lui faire mal…

Réécrire l’histoire de notre lignée

J’étais là, avec ma jeune enfante et parfois, surtout quand j’étais seule avec elle, des images de brutalité venaient me hanter. Or, on ne dit jamais aux jeunes mères que c’est normal, que c’est possible, que c’est une éventualité et que cela ne veut pas dire pour autant qu’elles sont mauvaises… Peut-être sont-elles plutôt insécures. Des souvenirs enfouis, parfois pendant des générations, remontent à la surface. Ce dont nous avons réchappé enfant peut venir à présent crier pour se faire entendre. Et si la vie nous met en face d’une créature si fragile, notre bébé, c’est aussi pour nous donner l’occasion de réécrire l’histoire. La nôtre et celle de notre lignée.

Alors bien sûr j’ai commencé un travail thérapeutique pour traverser mes angoisses que, seule, je pensais anormales et insurmontables (j’écris « bien sûr »… alors qu’à l’époque j’ai soigneusement cachée de cette thérapie à mes parents. Car consulter une psy était la preuve que j’étais folle !…) Toujours est-il que ce suivi m’a beaucoup aidée pendant cinq ans. Puis j’ai senti le besoin d’explorer une dimension plus spirituelle et j’ai alors découvert la méditation. La méditation est un puissant outil de déculpabilisation. Et les femmes ont tant besoin d’être soulagées de cette culpabilité qu’elles traînent comme une peau morte derrière elles. Cela me rappelle une phrase de la romancière Isabelle Sorente qui, dans Le Complexe de la sorcière, à propos de sa maman originaire du Sud, écrit : « … les petites filles du Sud à qui ont fait comprendre très tôt qu’être une femme est une chose qu’elles doivent se faire pardonner ». Mais je m’égare… Revenons aux enfants et à ce que nous voulons, ou pas, leur transmettre.

Libérer nos peurs pour rompre la malédiction

Nombreux sont les adultes qui ont souffert durant leur enfance : indifférence, maltraitance, délaissement, injustice… Et si, une fois adultes, nous devenons parents à notre tour, cette souffrance, nouée à notre chair, risque de ressurgir. Elle vient nous ébranler quant à notre capacité à prendre soin d’un petit être entièrement dépendant. Comment faire face ?

Peut-être en accueillant cette souffrance avant qu’elle ne se transforme en terreur.

Mais qu’est-ce que cela veut dire au juste qu’accueillir ? D’abord cela ne signifie pas renoncer ou accepter les bras ballants. Accueillir est un travail qui demande de l’honnêteté et beaucoup de patience. La méditation est une aide efficace en ce sens. Pour moi, elle s’est avérée une réponse pertinente et d’une grande profondeur. J’y ai découvert à la fois que je n’étais pas responsable de tout : la méditation nous montre – sans violence – nos limites et c’est très soulageant. Mais aussi que je pouvais pleinement agir individuellement : la méditation m’a reconnectée à une puissance revivifiée car libérée du joug d’une culpabilité qui ne m’appartenait pas, que j’avais engrammée enfant. Ce que le psychanalyste Moussa Nabati nomme « la culpabilité de la victime innocente ».

Et si devenir mère, c’était d’abord apprendre à guérir ?

À mesure que l’on allège le poids de cette culpabilité, l’on comprend qu’il est réellement possible d’inventer sa vie, c’est-à-dire sa propre manière de cheminer à travers l’existence. Par exemple, il est possible de créer sa façon d’être avec nos enfants, sans chercher la perfection et sans non plus écouter trop de conseils extérieurs parfois si maladroits. L’arrivée de mes enfants a donc été pour moi un puissant révélateur de mes limites, de mes douleurs anciennes mais aussi le catalyseur de ma créativité face à une vie qui demande chaque jour à être renouvelée avec inventivité.

Prendre sa vie en mains

Et puis les enfants grandissent et les peurs, d’autres, apparaissent. Que faire ?

Méditer, encore. Car c’est une manière de prendre soin de moi et des miens qui me plaît, qui me correspond. Sauf qu’aujourd’hui, je pratique avec des moyens plus précis et plus ciblés. À l’image des méditations sur l’enfant intérieur que je trouve très réparatrices. Ou encore à l’image de la pratique guidée « Nourrir ses démons » transmise par l’enseignante américaine Tsültrim Allione.

Je me suis formée à cette pratique auprès d’elle et auprès de deux enseignants majeurs qu’elle a initiés : Charlotte Rotterdam et Pieter Oostjuizen. Un jour, lors d’une session de formation, Charlotte nous a guidé·es dans une méditation où nous évoquions la présence de nos parents, de nos grands-parents, de nos arrières grands-parents, de nos lignées maternelles et paternelles. Cette méditation m’a bouleversée par sa puissance, mais elle m’a aussi soulagée d’un poids énorme. En me révélant les limites humaines et les qualités de mes ancêtres, elle m’a permis de mieux les comprendre puis de me laisser attendrir. Une tendresse bonne pour moi, pour mon cœur, pour mon corps, et pour mes enfants aussi.

Accueillir nos souffrances et transformer nos démons en allié·es

À présent, quand une peur, une inquiétude, une douleur vient me rendre visite, je sais que je peux l’accueillir via un processus guidé très précis. « Nourrir ses démons » est un voyage intérieur qui consiste à visualiser ma peur (mon démon), à la questionner, à écouter ses réponses et à lui prodiguer ce dont elle a vraiment besoin pour s’apaiser. Alors cette peur se transforme en une alliée protectrice et solide.

Peut-on aimer sans dominer ?

Si j’apprécie tant ce processus – que j’enseigne à mon tour – c’est que j’ai la conviction que c’est en nous libérant individuellement de nos peurs et de notre culpabilité (avec patience et tact) que nous cesserons de polluer le monde avec nos névroses. Nous cesserons de reproduire la violence ou l’indifférence dont nous avons souffert.

Nous deviendrons alors des adultes capables d’aimer, sans posséder ni dominer.


Si vous êtes intéressé·es par l’exploration de la méditation guidée « Nourrir ses démons », j’organise chaque mois une journée d’initiation en région parisienne. Laissez-moi un commentaire si vous souhaitez recevoir les informations pratiques.


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