Aimer les invisibles

Récemment, j’ai vu trois films que j’ai trouvé décoiffants : Un beau matin de Mia Hansen Love, dont je vous ai déjà parlé ici, Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry et Sur l’Adamant de Nicolas Philibert. Qu’ont ces trois films en commun ? Ils nous montrent celles et ceux que nous ne voulons plus voir : les vieux et les vieilles, les malades, les détenu·es… Ceux et celles que la société a soigneusement cloîtré·es dans des espaces d’invisibilité…

Je ne crois que ce que je vois

Le problème, c’est que quand on ne voit pas, on ne croit pas. On ne sait pas. On ne sait rien. Qu’est-ce qu’un vieux ? Une malade mentale ? Un délinquant ? Ils sont devenus invisibles alors on les imagine. Et on invente la peur. Car ce qu’on ne voit pas fait peur.

C’est un propos essentiel du film de Jeanne Herry. Elle parle de justice restaurative, un thème déjà remarquablement abordé par Lauren Bastide dans son livre Futur·es. Dans Je verrai toujours vos visages la réalisatrice révèle combien ne pas voir un criminel, ne pas pouvoir instaurer un dialogue, loin de protéger la victime, ne fait qu’entretenir sa terreur. La justice restaurative permet, non pas de rencontrer le criminel qui vous a fait du mal, mais des prisonnier·es ayant commis les mêmes exactions. Et d’entamer un dialogue pour comprendre ce qu’il y a dans leurs têtes : leurs motivations, leurs limites, leurs aveuglements, leurs propres frayeurs. Pour les détenu·es c’est la possibilité de faire face à des victimes et de comprendre les conséquences – parfois indélébiles – de leurs actes.

Des deux côtés on se connaît mieux et on commence à se comprendre. On peut entamer un travail de clarté, voire d’apaisement. C’est que montre très bien le film. Par ces rencontres et ces dialogues, il est possible d’abaisser le niveau de terreur et de tension. De réparer.

Mais malheureusement, il n’y a pas que les criminels qui nous fassent peur. En excluant de notre horizon les adultes souffrants de troubles psychiques et les personnes âgées, notre société les traite comme des hors-la-loi – ce qu’ils ne sont pas, rappelons-le ! – et nous incite à les craindre.

Séance de peinture sur l'Adamant un centre de jour qui accueille les adultes souffrants de troubles psychiques
Sur l’Adamant

Rencontrer pour aimer

Ce que nous donnent à voir ces trois films c’est que dès que nous nous offrons la possibilité de rencontrer, nous commençons à éprouver de l’empathie. Sortir les personnes de l’invisibilité nous permet de découvrir l’humanité présente en chacun, chacune d’entre nous. Grâce au documentaire de Nicolas Philibert, on apprend qu’en réalité très peu de « fous » sont dangereux. Sur l’Adamant, un accueil psychiatrique de jour, on rencontre des femmes et des hommes meurtri·es et abîmé·es, mais aussi tendres et plein·es de créativité. De poésie même, car ils et elles osent aller là où nous n’allons plus… Par le dessin, la danse, la musique, le chant, la photographie. La caméra nous laisse le temps de les découvrir, de voir aussi combien nous pouvons, par certains côtés, nous reconnaître !

Avec lenteur, le film nous introduit dans un monde, difficile peut-être, mais qui, en sortant de l’invisible, n’est plus effrayant.

une séance de pause cigarette dans le film de Jeanne Herry
Je verrai toujours vos visages

Ensemble, c’est tout

Dernièrement, on m’a proposé d’animer un atelier de méditation pour des femmes en grande précarité. Ces femmes ont connu la rue, l’abandon, la misère. Elles sont devenues invisibles. J’ai accepté, morte de trouille. Comment allais-je, avec une simple méditation guidée, pouvoir aider qui que soit ayant tellement souffert ?

Accompagnée d’une amie bénévole comme moi, je suis allée au premier atelier le ventre noué. C’était oublier le pouvoir magique d’une vraie rencontre entre êtres humains ! Nous avons pris le temps de nous rencontrer, de parler de tout et de rien. Enfin pas de tout, et notamment pas de leur parcours ( il ne s’agissait pas d’un groupe de parole ni de thérapie) mais de choses simples, de la vie : les enfants, la cuisine, les voyages… Puis nous avons médité ensemble et c’était fantastiquement joyeux. Nous étions là, à partager la douceur de nos présences rassemblées, le baume de nos silences spacieux, la dignité de nos postures immobiles. Rien de plus, rien de moins. Chacune a ensuite pris la parole et les témoignages étaient d’une telle vérité. Ça parlait vrai, c’était humain, c’était profond, c’était sacré.

Le silence qui prend soin

Il y a le silence qui tue, quand il tait, qu’il exclut, qu’il cache, qu’il rend invisible. Et puis il y a le silence salvateur de la méditation. Je suis persuadée que si nous prenions régulièrement le temps, quand nous sommes avec une amie, un parent, un vieux, une malade, de faire silence ensemble, quelques minutes, cela nous soignerait en profondeur. Faire silence pour mieux s’entendre, pour mieux s’écouter et pour mieux se parler aussi.

Ces trois merveilleux film posent leur caméra en silence devant celles et ceux qu’on ne voit plus. Et par là nous permettent de rouvrir un espace de dialogue. Une relation humaine. D’ouvrir notre cœur. Sans peur et sans reproche.


EN SAVOIR PLUS

A propos de Sur l’Adamant, de Nicolas Philibert, produit par les Films du Losange. L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre : c’est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan. L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.

A propos de Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry, produit par Chi-Fou-Mi Production et Trésor Films. Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel. Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation…

A propos de Un beau matin, de Mia Hansen Love, produit par les Films du Losange. Sandra, jeune mère qui élève seule sa fille, rend souvent visite à son père malade, Georg. Alors qu’elle s’engage avec sa famille dans un parcours du combattant pour le faire soigner, Sandra fait la rencontre de Clément, un ami perdu de vue depuis longtemps…


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This Post Has 2 Comments

  1. Patricia Orebi Répondre

    Bonjour Marie Laurene, au vu ces 3 films magnifiques.
    Magnifique ce que tu fais…
    Affectueusement. Patricia

    • Marie-Laurence Cattoire Répondre

      Merci Patricia,
      je trouve très intéressant ce travail profond que mène toute une génération de réalisatrices et réalisateurs pour nous faire voir le monde social dans lequel nous vivons. Et comment recréer des liens sains.

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