Retrouver sa place, se retrouver

Pourquoi nous sentons-nous si souvent illégitimes ? Peut-être à cause de tout ce que nous avons appris et que nous n’interrogeons pas assez. Le temps est peut-être venu pour chacune, chacun de désapprendre… pour trouver sa place.

Que nous a-t-on appris ? À nous conformer à ce que nous  devrions être plutôt qu’à nous inciter à devenir et à apprécier qui nous sommes. Dans son dernier livre Lire les signes et trouver son chemin la conférencière Marie-Pierre Dillinseger pointe ce formatage qui nous empêche d’être nous et d’assumer notre singularité. S’appuyant sur les travaux du généticien Robert Plomin, elle écrit :

« […] la société, l’éducation, les habitudes et les façons de faire continuent à formater les apprentissages, les comportements et les personnes, dans le respect de règles générales et normatives. Les modèles gagnants-perdants, acceptés-déviants sont posés dès l’enfance.[…] L’acquis prend souvent le dessus sur les compétences innées qui, elles, restent dormantes. »

Bien trop souvent l’éducation familiale, scolaire, universitaire, professionnelle sépare le savoir de notre propre expérience. Elle privilégie la théorie à l’empirique. Elle valorise un apprentissage intellectuel au détriment de l’expérience directe. Et peu à peu, elle invalide l’expérience personnelle… Si vous dites sans arrêt à un enfant que ce qu’il ressent n’est pas vrai (mais non tu n’as pas mal !), si vous lui faites comprendre que son expérience n’a rien à voir avec la vérité, comment peut-il apprendre par lui-même ?

Nous sommes ainsi privé·es de notre expérience. Mais si notre expérience personnelle n’a pas de valeur, comment ne pas ressentir cette douloureuse impression d’illégitimité ? Comment trouver sa place ?

Une première étape serait de reconnaître que notre système éducatif réprime l’estime de soi en considérant les élèves comme des réceptacles vides, sans voir toute la sagesse qui les habite déjà.

écrit Gloria Steinem dans Une révolution intérieure

un oiseau, perché seul sur des fils électriques qui forment comme une participation. Retrouver sa place

Une sensibilité dénigrée

Une fois adulte, quelles sont nos croyances, ou plutôt que nous fait-on croire ? Par exemple, qu’une femme devrait avoir des qualités particulières : douceur, écoute, sensibilité, attention. Autant de qualités qui sont d’ailleurs très peu valorisées dans nos sociétés… Mais aussi qu’il est normal – voire naturel – qu’une femme fasse preuve de sacrifice de soi, vive par procuration, évite la confrontation, recherche l’approbation pour savoir si ce qu’elle fait est bien…

Et les hommes ? Eux sont censés porter les qualités les plus admirées et valorisées : puissance, force physique, capacité de raisonnement, courage, combativité, esprit scientifique, rationalité, inflexibilité… Ce qui leur laisse peu de marge de manœuvre. Obliger les hommes à faire preuve de force, les priver de leur sensibilité, c’est, nous rappelle bell hooks, priver les femmes d’hommes sensibles !

Cette répartition des qualités, nous l’apprenons très jeune, parfois enfant. Et dans tous les cas, lorsque survient l’adolescence, vient avec elle l’injonction à se conformer à l’une des deux catégories binaires. Il se peut alors qu’un sentiment d’incomplétude, voire de honte, advienne si l’on se sent porteuse, porteur de qualités socialement attribuées au sexe opposé (d’ailleurs quelle atroce expression « sexe opposé » !). Impossible alors de se situer, de trouver sa place.

Pour ma part, j’ai eu beaucoup de mal à me construire en tant que femme puisque tout ce qui m’attirait était identifié comme masculin. Au lieu d’être une petite fille réussie, j’étais un garçon manqué. Très dynamique. Autoritaire. Avec un vrai goût pour commander, pour mener, pour entreprendre. Un goût de l’exploration aussi, une curiosité insatiable pour le monde.

Devenir un homme comme les autres…

Il a fallu que j’étouffe tout cela pour devenir acceptable. J’ai choisi de faire semblant pour plaire. J’ai intégré l’idée que m’affirmer menaçait ma féminité. Alors j’ai arrêté de grimper aux arbres et de jouer aux billes.

Jeune femme, j’ai essayé d’adopter des attributs féminins, des signes extérieurs de féminité que j’ai ensuite abandonnés pour être tranquille, pour ne plus avoir l’impression d’être une proie … Et au fil des années, je suis devenue étrangère à mes sentiments, à mes désirs. À force je suis devenue « un homme comme les autres ». Je me suis perdue de vue. Je suis peu à peu devenue invisible à moi-même. Et je pense que le plus grave c’est de devenir invisible à ses propres yeux… De ne plus savoir qui on est. Quand on en arrive là, le sentiment d’illégitimité infeste tout.

Renoncer à nos propres talents

Le problème lorsque l’on se soumet ainsi à ce qu’on imagine que la société attend de nous, c’est que l’on renonce à beaucoup de nos qualités et de nos talents… Or une vie humaine se nourrit de tous les talents, de toutes les formes d’expression artistiques. Des études américaines montrent que la diminution – au cours de l’enfance – des activités extra scolaires ou optionnelles, telles que le musique, l’art, la danse… coïncide souvent avec une perte d’estime de soi des élèves. Et en tant qu’adultes, nous avons ensuite tendance à restreindre encore plus les formes d’expression de soi.

Toute capacité humaine inexploitée, par peur ou par honte, laisse un petit trou dans le tissu de l’estime de soi.

écrit Gloria Steinem dans Une révolution intérieure

La méditation comme outil de déconstruction

La méditation peut s’avérer une alliée pour regarder au-delà de ce que nous prenons comme vérité. Et pour nous libérer du carcan de nos croyances. C’est ainsi qu’elle a agi pour moi. En me permettant de me rencontrer, la méditation m’a donné de la force dans un monde dont je commençais à désespérer qu’il puisse m’accueillir telle que je suis !

C’est quoi se rencontrer ? C’est tout simplement retrouver le goût de l’expérience, de notre propre expérience. Et la remettre au centre de notre vie. Pour trouver sa place. Et en même temps, c’est apprendre à voir plus large que nos croyances toutes faites. Pour cela la méditation est très utile aussi. Elle m’a aidée à sortir du cadre. À réinterroger tout ce que l’on m’avait mis dans la tête et que je me suis cru obligée d’intégrer pour appartenir à ce monde très « masculin ». J’ai compris que j’avais la possibilité de changer mon rapport au système. Et d’interroger, sans cesse, autant que je le voulais : c’est quoi un couple ? C’est quoi une mère parfaite ? C’est quoi travailler, se reposer, vivre ? C’est quoi aimer ? C’est quoi un corps, mon corps ?

J’ai découvert que mon corps sait autant que ma tête, car mes sensations contiennent une véritable intelligence. Mon expérience corporelle, sensorielle, humaine est parfaitement valable.

Et cette révélation – au lieu de me contraindre à la conformité – m’autorise à devenir de plus en plus celle que je suis ! Renversant !


Toutes les photos de l’article sont de la photographe Fida Nazim Qizi.

Lectures pour aller plus loin Affirmez-vous ! Marie-Laurence Cattoire, Une révolution intérieure Gloria Steinem, La volonté de changer bell hooks, Lire les signes et trouver son chemin Marie-Pierre Dillenseger.


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This Post Has 2 Comments

  1. Arlery Répondre

    Merci Marie Laurence pour ces mots beaux et vrais. Après ton week-end d’enseignement sur le sujet, je suis en train de lire ton livre : « Affirmez vous ». Tes recherches et réflexions m’amènent à comprendre bien des choses qui me bloquaient jusque là ! Ton livre « Vive la méditation » m’aide également à mieux comprendre ce qu’est la méditation et mieux comprendre également des pratiques de méditation que j’avais du mal à « intégrer » dans mon corps ! Alors merci pour tes recherches, ton goût de transmettre, et merci d’être celle que tu es tout simplement et que tu as le grand courage d’être.

    • Marie-Laurence Cattoire Répondre

      Très heureuse d’avoir de tes nouvelles Isabelle, après ce week-end partagé. Le travail de clarté que nous pouvons mener toutes et tous ensemble est vraiment important pour nous aider à nous libérer de ce que nous pensions être la vérité. Et pour cela la méditation est formidable ! Je te souhaite une excellente fin de semaine.

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